Pourquoi des portraits ?

Il est assez frappant, au regard des différentes collections, de constater que le portrait représente une part non négligeable des photographies prises au sein des ghettos.
Si l’on comprend aisément l’utilisation du portrait chez les photographes juifs qui construisent la mémoire des ghettos, et dans la propagande nazie, l’objectif y étant clairement de révéler un « type » juif, l’utilisation du portrait chez les soldats allemands paraît plus surprenante.
Le portrait, quel que soit le domaine artistique dans lequel il est employé, témoigne sinon d’un intérêt, du moins d’une relation avec le sujet dépeint. Cette volonté d’échange entre le photographe allemand et la personne juive représentée suscite donc l’interrogation. Le portrait étant souvent associé à la sphère familiale et à l’intimité, pourquoi les soldats allemands ont-ils autant photographié les visages en plan rapproché ?
Pour certain soldats nazis, l’appareil photographique est une arme pour avilir, pour garder trace et montrer l’instant d’humiliation, de déchéance.
Pour d’autres, la relation entre le photographe et son sujet est beaucoup moins évidente.

Deux portraits révélateurs

Qui est cette jeune femme ?
Ce portrait d'Hugo Jaeger a été pris en Pologne pendant l'année 1940. La jeune femme juive photographiée n'a pas pu être identifiée.
Comment sait-on qu'elle est juive ?
Nous ne pouvons pas l'affirmer en regardant uniquement l'image parce que l'étoile jaune à six branches, symbole de la religion juive et signe distinctif imposé aux Juifs sur leurs vêtements pendant la Seconde Guerre mondiale, n'est ici pas visible. Rien sur le visage de la jeune femme n'indique qu'elle est juive, on sait néanmoins que ces deux photographies ont été prises à l'intérieur du ghetto de Kutno, une des zones de résidence imposées au Juifs entre 1939 et 1944.
Pourquoi ne sourit-elle pas sur le premier cliché ?
Reporter officiel d'Hitler, Hugo Jaeger, le photographe, est aussi à l'époque un soldat allemand au service d'un régime nazi, officiellement antisémite. Sur le premier cliché, la jeune femme montre un visage fermé avec un regard plein de défiance face à un Allemand qui la regarde et prend une photographie.
Pourquoi sourit-elle sur le deuxième cliché ?
Hugo Jaeger est un photojournaliste reconnu dans l'Allemangne des années 1930 et a plus de liberté dans le choix de ses prises de vue que les autres photographes incorporés dans les compagnies de propagandes (PK).
Il est impossible de savoir ce que Jaeger a pu dire ou faire pour faire sourire la jeune femme, ni de connaître son intention lorsqu'il a pris les clichés, mais le sourire détendu de la jeune femme révèle une certaine confiance. Il y a finalement peu d’hostilité et l'on devine même une curiosité réciproque entre le photographe et son sujet.
L'agressivité et la tension caractéristique de la relation entre le photographe allemand et la victime ne se retrouvent pas systématiquement dans les photographies d'Hugo Jaeger.

Peut-on parler de photographies d’art ?

Certains de ces clichés sont très beaux, peut-on parler de photographies d’art ?
L’ensemble de ces photographies ne sont pas des œuvres d’art. Prises essentiellement par des amateurs, elles s’apparentent davantage à des images de photojournalisme.
Élément essentiel pour comprendre une image, l’intention des photographes consiste avant tout à témoigner de ce qu’ils voient et non à créer une œuvre. Le fait d’exposer ces images ne leur confère pas non plus le statut d’œuvres d’art, même si certaines comportent des qualités visuelles. Si l’aspect esthétisant d’une photographie surpasse le témoignage, on peut dire que le photographe a échoué dans sa mission.
Pourquoi certaines photographies comportent-elles une dimension artistique ?
Le recours volontaire ou inconscient à l’émotion esthétique est un moyen utilisé par le photographe pour nous rapprocher d’une souffrance qui nous est étrangère. La beauté donne à l'image sa capacité à nous émouvoir et à engendrer la pitié.
Portrait de femme dans le ghetto.
Ghetto de Kutno, 1er avril 1940.
Hugo Jaeger
© Getty Images
Portrait de femme dans le ghetto.
Ghetto de Kutno, 1er avril 1940.
Hugo Jaeger
© Getty Images
Yankele Freitag, neveu de Mendel Grossman, mange une cerise.
Ghetto de Lodz, ca. 1940-1944.
Photo: Mendel Grossman.
© United States Holocaust Memorial Museum
Ghetto de Kaunas, ca. 1941-1944.
Photo : George Kadish.
© United States Holocaust Memorial Museum.
Ghetto de Varsovie, juin à août 1941.
Photo : Willy Georg.
© United States Holocaust Memorial Museum